Yehuda Leyb Cahan (1881-1937)


Leyb Cahan (1881, Vilnius - 1937, New York). Né à Vilnius, il part  pour  Varsovie à l’âge de 8 ans. Il y  apprend  le métier d’horloger tout en étudiant au héder.

En 1901, Cohen il part pour  Londres. En 1904, il émigre à New York et y vivra jusqu’à sa mort en 1937.

Après avoir étudié en autodidacte, il consacre la plupart de son temps à la collecte et l'étude du folklore yiddish  .Il compilera des collections classiques de chansons folkloriques et de récits yiddish, et écrira sur la méthodologie de l’étude du folklore

On compte au nombre de ses écrits: Yiddishe Folkslider mit Melodien (1912, 1920, 1930); Yiddishe Folks-mayses (1931).

Cahan entretient des liens étroits avec le Yivo en Lituanie.Lorsque le Yivo s'installe aux Etats-unis, il sera le premier à donner une conférence sur l'ethnographie en raison de l'ampleur de ses activités se collectionneur et de ses importantes recherches.


Le livre '' Yiddishe folks- mayses'' est une compilation d'histoires populaires  recueillies par Leyb Cahan  et publié en 1931.

Cette histoire a été consignée en 1900. Elle a été racontée à Vilnius par un camarade de Heder de Cahan,  qui l’avait entendu récitée dans son enfance par d’autres camarades du Heder.

 

BEBELE

 

Il était une fois un couple qui n’avait pas d’enfant. Ils allaient toujours au cimetière prier Dieu qu’il leur en donne un. Une fois, alors qu’ils étaient au cimetière et priaient, un ange est descendu du ciel et leur a dit :

-          Dieu a agréé vos prières. Que préférez-vous avoir : un garçon qui sera aussi  grand qu’un haricot ou une fille qui se convertira a l’âge de 13 ans ?

 Ils lui dirent :

- Nous préférons avoir un fils même s’il est aussi petit qu’un haricot.

Une année passa, et  ils eurent un fils, vraiment pas plus grand qu’un haricot. Il ne grandit jamais plus et pour cette raison, ils l’appelèrent Bebele.

Une fois, sa mère a préparé un repas. Elle le verse dans un plat, le donne à Bebele afin qu’il le porte à son père au marché. Bebele se réjouit, il pose le grand plat sur la tête et court l’apporter  à son père. Il court et court, et rencontre en chemin un vieux mendiant.

Le mendiant lui dit :

–Cela fait déjà trois jours que je n’ai rien eu dans ma bouche.

Bebele a pitié de lui, il prend alors le repas de son père et le lui donne.

Le mendiant le remercie à n’en plus pouvoir.

- Ah bravo ! Que tout ce que tu fasses te réussisse, quel bon jeune homme tu es. Après avoir mangé, Bebele pose le plat vide sur sa tête et continue son chemin. Il court et court jusqu’à ce qu’il rencontre une bande de voleurs. Les voleurs lui demandent :

-Mais où donc cours-tu. ?

 Il leur répond :

-Je cours dire à mon père que j’ai donné son repas au vieux mendiant.

-Hé ben ! Un si gentil garçon ! lui disent les voleurs, nous allons te faire rentrer dans notre bande et tu iras voler avec nous.

Bebele voulut répondre :- Je n’ai pas le droit de voler, mais il avait peur qu’on le tue et il a préféré  dire :

-Bien j’irai avec vous !

 Ils ont marché sans cesse jusqu’à ce qu’ils passent devant une étable fermée à clé. Profitant d’un instant d’inattention des voleurs, Bebele a sauté  dans le trou de la serrure et  a disparu, à leur grand étonnement.

-Mais où est passé ce petit homme ? Il était là à l’ instant, et maintenant, plus personne ! Ils l’ont cherché partout, mais ne l’ont pas retrouvé. Ils sont alors partis. Entretemps Bebele s’était installé dans l’étable et s’était caché dans un baquet plein de betteraves en petits morceaux. La vache l’a avalé tout cru avec les betteraves. Quand Bebele a vu qu’il faisait si sombre  dans le ventre de la vache, et qu’il ne pouvait en sortir alors, alors il a bien été en colère et s’est mis à insulter la vache :

-Que la peste soit sur toi ! Que tu attrapes une apoplexie !

Le lendemain matin, la servante s’est rendue à l’étable afin de traire la vache. Et quand elle a commencé  à la traire,  elle a entendu crier :

-Que la peste soit sur toi ! Que tu attrapes une apoplexie !

La servante a eu très peur et est partie, plus morte que vivante voir son maitre.

-Maitre, la vache lance des jurons.

- Allons donc petite sotte, ça ne se peut pas. Je n’ai jamais entendu une vache jurer.

 La servante dit : Maitre j’ai peur.

- Si tu as peur, hé bien lis le shema.

La maitresse de maison est alors partie elle-même à l’étable traire la vache. Et dès qu’elle a commencé à traire, elle a entendu crier :

- Que la peste soit sur toi ! Que tu attrapes une apoplexie !

La maitresse de maison fut aussi très effrayée et, plus morte que vivante, est partie en courant voir le rabbin et lui a raconté toute l’histoire. Le rabbin a demandé  qu’on abatte la vache et que ses intestins soient jetés dans la rue.

Le lendemain matin, l’abatteur rituel est arrivé et a abattu la vache. Dès qu’il s’est mis à découper le ventre, et à en extraire les intestins, il a entendu crier :

- Ne découpez pas le ventre, découpez sur le côté ! Ne découpez pas le ventre, découpez sur le côté !

L’abatteur fut aussi saisi d’une grande frayeur et a commencé à découper sur le côté. Et ainsi, il a lentement extrait les intestins et balancé le reste dans la rue.

A ce moment-là, un mendiant affamé, est arrivé. Voyant des intestins frais étalés, Il s’est dit :

- Dieu m’a fait faire une trouvaille casher. Je vais emporter ces intestins chez moi et je me ferais un bon repas.

Il les  prend, les met dans sa besace, puis il met sa besace sur le dos en se réjouissant. Et le voici qui marche et marche, et soudain il sent que chose lui fait mal dans le dos. Il ne sait pas ce que c’est. Il n’en fait pas cas et continue sa route. Il continue, mais il sent à nouveau une douleur dans le dos. Il se demande ce que cela peut bien être. Il se dit :

- Ce ne sont pas des aiguilles .Je n’en ai pas dans la besace. Je ne porte que des intestins mous, qu’est ce qui peut donc me faire mal ?

Il fait comme si de rien n’était et continue. Mais plus il avance et plus il ressent une douleur perçante, jusqu’ à ce qu’il finisse par ne plus pouvoir la supporter .Il s’arrête  alors et se demande :

-Qu’est- ce que je dois faire ? Balancer les intestins ? C’est un péché et je n’aurai plus de quoi grignoter. Est-ce que je dois continuer à les porter ? Je n’aurai plus de dos, c’est une mauvaise affaire.

Il restait debout à réfléchir sans savoir que faire. En plein milieu il entend crier :

- Jette-les ; jette-les !

Le mendiant est choqué. Il saisit et balance les intestins dans la rue. Il se tient devant et regarde ce qui va se passer. Il en voit sortir un jeune homme de la taille d’un haricot.

Le mendiant le reconnait de suite. Il lui dit :

-C’est toi le jeune garçon qui m’a auparavant donné le plat de ton père ?

Bebele lui dit : -Oui c’est moi. Et comment se fait-il que tu te retrouves là ? lui demande le mendiant.

 Bebele lui raconte toute l’histoire. Le mendiant dit alors :

- hé ben, hé ben, hé ben, on en voit de belles sur cette terre!

Il lui dit ensuite :

-Et pourquoi m’as-tu piqué dans le dos ?

-Parce que j’ai eu peur que tu ne m’avales pour ton repas, lui répond Bebele.

 Le mendiant fait : - Hé ben, hé ben, hé ben, on en voit de belles sur cette terre !

Le mendiant lui demande à nouveau :

-Et tu voudrais rentrer à la maison ?

Bebele lui répond :

-Oui ,je voudrais bien rentrer à la maison.

Alors , Ils prirent  ensemble le chemin de la maison.

Et quand le père et la mère reconnurent leur Bebele, il poussèrent tous deux un cri :

- Bebele ! où étais tu passé ?

Et Bebele leur raconta alors toute l’histoire.

 

Une poule et un coq

L’histoire commence,

Un chat et une souris

L’histoire est  finie !




Histoire d’un sot


Cette histoire a été consignée en 1900. Elle a été racontée à Vilnius par un camarade de Heder de Cahan.

 

Il était une fois un Empereur qui avait deux enfants. L’un était sot et l’autre intelligent. Un jour, l’Empereur convoqua ses enfants et leur tint ces paroles :

- Ecoutez-moi bien, mes chers enfants, il est grand temps que vous appreniez un métier ou une science. Passer son temps à se promener n’est pas une fin en soi. Dites-moi mes chers enfants, que voulez-vous faire ?

-Je veux étudier toutes les sciences de la terre, lui  répond l’intelligent.

-Et toi ? demande l’Empereur au sot.

- Moi, dit le sot, je préfère aller à la rivière, laver mon linge.

-Très bien lui dit l’Empereur, laver le linge, c’est aussi une activité.

il leur donne de l’argent et chacun d’entre eux prend la route. L’intelligent part étudier et le sot  va laver son linge.

Une fois, le sot se trouve au bord de la rivière à laver son linge. Il lave et lave, oh oui il lave. Soudain, une chaussette part avec  le courant et disparait ! Il court la chercher sur l’autre rive de la rivière. Il court, il court et rencontre un facteur.

Il lui dit alors :- Ecoute moi bien, n’aurais tu pas trouvé ma chaussette ?

Le facteur ne savait pas qu’il s’agissait du fils de l’Empereur et cette histoire l’ennuyait. Il ne réfléchit longtemps avant de lui balancer une torgnole sur la joue à tel point qu’elle se mit à enfler comme un petit pain. Le sot est rentré en courant chez l’Empereur son père en pleurnichant.

- Père, j’ai lavé le linge au bord de la rivière et une chaussette a suivi le courant. J’ai demandé au facteur s’il avait trouvé mes chaussettes, et il  m’a frappé, et à présent  ma  joue est enflée.

L’Empereur réfléchit : Ça me fait de la peine qu’il soit sot, mais il faut lui faire rentrer un peu de jugeote.

il lui dit :- la prochaine fois, lorsque tu le rencontreras, tu enlèveras d’abord ton chapeau et tu lui diras :-Bonjour monsieur le facteur n’auriez-vous pas vu ma chaussette. ?

- Bien répond le sot. La prochaine fois je ferai comme ça. Et il  repart.

Il marche et marche, et  voit qu’on célèbre un mariage dans une maison. Il  y va en courant, ôte son chapeau et dit au fiancé : -Bonjour monsieur le facteur, n’auriez-vous pas vu ma chaussette ? Le fiancé  et les parents le regardent comme un fou. Quel facteur, quelle chaussette ? Ils le saisissent, lui donnent une bonne raclée et l’éjectent de la maison.

il retourne alors chez lui, et dit à l’Empereur en gémissant : -Père je suis allé à un mariage  et j’ai dit :

- Bonjour monsieur le facteur, peut être auriez-vous vu mes chaussettes ? et ils m’ont cassé la figure.

L’Empereur réfléchit. Ça me fait de la peine qu’il soit sot, mais il faut que je lui apprenne à avoir  un peu de jugeote.

Il  lui dit :- La prochaine fois, mon fils, quand tu iras à un mariage, tu jetteras une pièce dans l’assiette et tu iras danser avec tout le monde.

-Bien dit le sot, la prochaine fois je ferai exactement cela.et il repart.

Il marche, il marche il voit une maison brûler, un grand incendie.il court dans la maison en feu, balance un kopek dans une assiette et va danser. Quand les pompiers voient cela, ils éclatent de rire et l’arrosent avec le tuyau de la tête au pied. Il retourne à la maison en courant pour se plaindre auprès de son père.

- Père, j'ai vu une maison bruler. J’ai pénétré à l’intérieur, j’ai balancé un kopek dans une assiette, je suis parti danser,  et les pompiers m’ont balancé une sacrée douche froide.

Cela commençait sérieusement à tracasser l’Empereur.

Il lui dit :- Je te le dis tout droit, la prochaine fois  ne sois pas  sot, quand on voit que ça brule, on prend un seau d’eau et on éteint le feu.

- Bien dit l’idiot, la prochaine fois je ferai comme ça et le voilà reparti.

Le lendemain matin, après la douche froide, le sot va dans la rue, il aperçoit une vieille juive portant un panier avec des petits pains chauds encore tout fumant. Il pense qu’il y a le feu. Il balance un seau d’eau, pour éteindre les petits pains. La vieille juive lui donne une bonne raclée  et lui arrache sa casquette.  Et le voici rentrant chez lui en courant sans casquette.

-Père, j’ai vu une vieille juive avec des petits pains desquels se dégageait une fumée, j’ai pris un seau d‘eau, j’ai éteins elle m’a battu et arraché la casquette ! l’Empereur entre dans une  colère noire et se mis à  crier sur lui :  

-Espèce d’idiot quand on voit une pauvre vieille juive avec des petits pains on lui en achète un pour un kopek.

-Bien lui dit le sot, c’est ce que je ferai la prochaine fois.

Et le voici  reparti en chemin.il marche et marche et aperçoit un soudard  se gratter sa crasse.

il lui dit :-Vendez en moi pour un kopek.

-Oh, mais avec le plus grand plaisir ! lui répond le soudard. Pour un kopek, je peux t’en vendre un wagon tout plein. Le sot rentre chez lui  et dit à l’Empereur tout joyeux :

-J’ai fait une affaire. Et il  raconte ce que le soudard lui a dit.

Lorsque l’Empereur entend cela, il se met pour de bon en colère et finit par chasser le sot de la maison.